Témoignage de Guadeloupe

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Hier, je demandais incidemment à un copain, retourné voici quelques années en Guadeloupe, le pays de ses ancêtres, son sentiment sur les événements récents.
Il a pris la peine de me répondre tandis que je dormais du sommeil du juste.
Son témoignage a le mérite d'être basé sur du vécu et surtout, le copain n'a pas lésiné sur les explications.
Cette correspondance, je crois, mérite d'être partagée. Je la livre donc à qui pourra s'y intéresser.
Je signale qu'il a été, dans les années 70, adjoint au maire au sein d'une Municipalité d'Union de la Gauche, dans une commune de l'est parisien. Mon correspondant fut un temps Secrétaire de Section PS.

Salut, Harry, et merci à toi.

 

Pas facile de résumer une situation certes actuelle, mais dont les fondements remontent à Christophe Colomb!... D'autant plus que les termes sont ambigus. Exemple: il n'y jamais eu de "colonie" ici. Les colonies, c'est l'Afrique, la Polynésie etc… partout ou une culture existait et qu'elle a été asservie. Ici, les africains ou les européens ne sont détenteurs que de la légitimité et de l'histoire qu'ils se sont attribuées ou construites après avoir totalement détruit la civilisation et les vrais propriétaires du territoire. Ici ce qui a été bâti relève de la structure économique du "comptoir" et de la "plantation" appuyée sur l'exploitation d'une main d'œuvre sous le régime de l'esclavage d'une catégorie humaine facilement identifiable, car noire. Ce "modèle" appliqué durant plusieurs siècles a bien évidemment façonné des structures mentales encore largement présentes.

A titre d'exemple:

- ici, le propriétaire d'une maison qu'il loue estime qu'il est bien bon d'offrir un toit à des gens qui le payent avec un élastique. Si le toit fuit ou qu'un ravalement de façade doit être effectué, il est intimement convaincu que l'heureux privilégié, qui a l'immense honneur d'habiter chez lui, n'a qu'à se démerder, c'est pas son problème, non mais. De son côté, le locataire pense que ce voleur de propriétaire qui loue quatre
fois le prix normal doit tout à son locataire et il ne comprend absolument pas pourquoi il devrait faire passer le paiement du loyer avant l'achat de son écran plasma, déjà qu'on a pas beaucoup de plaisir, et en plus il est obligé de perdre du temps à tondre la pelouse alors que c'est au propriétaire de se démerder pour que l'herbe ne pousse pas.

- ici, si tu crées une entreprise et que tu accordes un bon salaire à tes employés, supérieur à la normale, ces derniers vont se mettre immédiatement en grève car si tu leur donnes autant c'est que tu peux leur donner plus encore.

- ici, si tu es embauché dans une entreprise et que tu fais confiance à ton patron, tu as de bonnes chances, lorsque tu tombes malade, de t'apercevoir que ce dernier a bien prélevé les cotisations sociales ouvrières sur ta feuille de paye, mais qu'il ne les a jamais versées et que tu n'es pas couvert par la Sécu.

Le "dialogue social" repose sur ces bases. Jusqu'à cette année, le grand patronat a toujours préférer mettre son entreprise en faillite plutôt que de céder voire même pour certains, de paraître céder. C'est un principe ancien.

Sur l'économie, quelques exemples :

- ici, si tu te lances dans la fabrication d'un produit quelconque et que ce dernier est importé ou est susceptible d'être importé, les maitres des flux commerciaux import (y a pas d'export sauf banane, sucre
et sportifs), vont immédiatement vendre à perte le même produit ou son concurrent immédiat, jusqu'à ce que tu mettes la clé sous la porte.

- ici, l'abonnement internet 512K est vendu par France-Télécom notamment, service encore public, à 49,99€/mois, le 1 Méga à 70€/mois. Y a pas de débit au-dessus de toute façon.

- ici, les marges sur les produits varient d'un minimum de 50% jusqu'à 2000%.

- ici, les hôtels 3 étoiles n'en n'auraient pas deux en métropole.

- ici, en raison du professionnalisme du corps enseignant, le premier de la classe, quelle quelle soit, a 98% de "chances" de se retrouver immédiatement au 20° rang voire plus loin lorsqu'il intègre une classe en métropole.

MAIS

- ici, lorsqu'il y a des cyclones, tu as le devoir de rester chez toi, en France tu dois impérativement tenter d'aller bosser même s'il y a des congères de deux mètres de haut ou des vents de 180 km/heures.

- ici, si tu arrives avec un quart d'heure de retard à un rendez-vous, tu es à l'heure.

- ici, la misère urbaine et les mendiants sans dignité ont été importés, car il y a 30 ans personne ne laissait personne mendier dans la rue et de toute les façons, cela ne serait même pas venu à l'esprit d'un  guadeloupéen de mendier. Les premiers mendiants ont été des métropolitains, que l'on appelait, et appelle encore, des "blancs gâchés". Mais le malheur n'existe pas car, ici, tu ne peux mourir de faim ou de froid. C'est vrai maintenant que c'est plus facile d'aller à la Banque alimentaire et autre structure importée, chercher les pommes qui ne poussent pas ici, que d'aller cueillir des bananes ou des fruits à pain sur les terrains libres ou que de gratter la terre. Les humains, à juste titre, répugnent à l'effort.

- ici, on traite les morts avec respect et on se rassemble lors des veillées pour se saouler la gueule à la santé du défunt, même avec ceux que le défunt n'a jamais vu de son vivant et qui sont les bienvenus s'ils témoignent de la sympathie. Après 1/2 litre de rhum dans le cornet, la parentèle, les amis et les autres discutent, rient, se tapent sur le ventre et les cuisses, et le malheur est plus doux, plus facile à vivre.

Voilà. Je ne sais pas si j'ai réussi à montrer l'atmosphère et le contexte. Maintenant il faut ajouter une dimension. Mon arrière-arrière-arrière-arrière trisaïeul a été esclave, bande de salauds, et je vais vous le faire payer. D'ailleurs, si je ne suis pas embauché ou si je ne réussis pas ce n'est pas parce que je suis con,
incompétent ou inculte, non c'est parce que je suis noir et descendant d'esclave. Le pire est que les faits semblent donner raison aux tenants de cette thèse. En Guadeloupe même, trois antillais, dont un
martiniquais, quatre si on me compte dans le lot, dirigent des organismes significatifs: ANPE, CAF, CGRR/CGSS. Ces trois en question dirigent ce que le LKP a appelé les "ministères de la misère" et ils
sont trois sur l'ensemble des administrations ou établissements publics d'Etat. L'exception notable est l'éducation nationale, mais la, quand je vois cette troupe de nuls je me demande s'il ne faudrait pas mieux des blancs moins incompétents et moins imbus de leur personne.
Le L.K.P. maintenant. 80% d'indépendantistes au niveau de ses dirigeants, syndicats et associations confondus. Au départ en décembre, il s'agissait d'une question purement locale. Ces indépendantistes
souhaitaient en remontrer au président de la Région, Victorin Lurel, socialiste qui avait orchestré du 12 au 20 décembre 2008 le blocage de la Guadeloupe en s'appuyant sur le syndicat des transporteurs ( de droite, hé oui, c'est compliqué la Guadeloupe..) pour une revendication sur le prix du carburant. La réussite du mouvement des transporteurs traduite par la baisse consécutive des tarifs avaient mis en rage ces  indépendantistes qui d'ailleurs ne s'étaient pas associés au mouvement et ne l'avait soutenu que du bout des dents. Le 16 décembre 2008, le LKP qui ne représentait que lui même, soit quasiment rien, avait demandé une entrevue au Préfet. Les délégués ont été accueillis en Préfecture par une importante troupe de manblots (terme désignant en créole la gendarmerie mobile) littéralement retranchée dans la cour de la Préfecture. Ils se sont fait éconduire. Leur rage a décuplée. Durant 15 jours, les membres du LKP ont accompli un extraordinaire travail de terrain, ont étudié à fond tous les dossiers sensibles, ont peaufiné des arguments, ont rassemblé tous les acteurs et les éléments disponibles, ont bénéficié du concours d'avocats, de professionnels, de bénévoles etc..
Il en est sorti une plateforme tout azimut dans laquelle 80% des guadeloupéens pouvaient se retrouver ou se reconnaitre. La première manifestation du début janvier 2009 a rassemblé 45.000 guadeloupéens à
Pointe-à-Pitre, à la stupéfaction du LKP, qui ne s'attendait absolument pas à ce mouvement. Pas fous, et en bons élèves de l'école des cadres de Moscou (son résidu est à Cuba), ils ont su prendre la mesure du
mouvement. Pas le Préfet, pas le patronat, pas le gouvernement, pas les médias de France.
De plus, la coagulation du mouvement s'est produite à la suite de la diffusion en direct de trois tables rondes réunissant le patronat, l'Etat, les élus de tout bord, et le LKP. Le membres du LKP parfaitement
drivés par le porte-parole Elie Domota ont su transformer ces trois moments de tribune en une démonstration absolument incroyable, et inespérée pour le LKP, de la vacuité, de la bêtise, de l'incompétence, de la méconnaissance, du mépris, de la vanité, de la cupidité, du banditisme, de l'égoïsme, de la fatuité, de la rapacité, de la goinfrerie, etc.. de l'ENSEMBLE de ses interlocuteurs. Je n'en croyais
ni mes yeux ni mes oreilles. La seconde manifestation après ces trois diffusions a littéralement jeté dans la rue plus de 85.000 ou 95.000 Guadeloupéens, proportionnellement cela revient à faire défiler 13 ou 14
millions de personnes en France. Je n'avais pas assez d'essence sinon j'y serais allé, et je ne suis pas le seul!

A la suite, le refus du Préfet et des autres de refaire des débats publics ne servait à rien. Ils avaient de toute façon été démasqués, et il suffisait à Domota de dire ce qui se passait en petit comité pour qu'il soit cru. Pour ne pas détruire leur capital confiance, ils ont d'ailleurs, chaque soir, scrupuleusement relaté le déroulement des débats. Et personne ne pouvait mettre en doute leur parole. L'adhésion populaire a été massive, alors que, honnêtement, on était drôlement emmerdé car tout le système imposé de distribution, de circulation, de ravitaillement a été bouleversé. Vive la débrouille. Les maladresses du Préfet, ou du ministre Yves Jégo, de Fillon , de Sarko sont des péripéties sur lesquelles je ne m'étend pas.

Le LKP a crédibilisé des revendications qui auront pourtant du mal à être satisfaites, non qu'elles ne soient justifiées, mais in fine dans leur logique, elles remettent globalement en cause le capitalisme et ses
conséquences dans la plupart des domaines, y compris sur le plan culturel. En ce sens la démarche du LKP est effectivement "révolutionnaire". La Guadeloupe détruisant le capitalisme? Ils vont envoyer les marines et pas la gendarmerie! Il risque d'y avoir des retours de manivelle, car les capitalistes ne peuvent laisser faire. La vraie sortie de crise n'est pas faite et me parait plus difficile que l'entrée. Lorsque la crise mondiale, essentiellement financière en raison de la modification de la répartition de la plus-value depuis
quinze ans, est placée sous la loupe d'un territoire exigu, tous les défauts partiellement dissimulés sur un territoire de grande taille apparaissent.

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