Quand le 21ème siècle commencera...

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Après une analyse de la situation politique et des stratégies, Jean-Michel BAYLET, président du Parti radical de gauche, et Jean-François Hory, ancien président, concluent la motion proposée au Congrès, et qu'ils ont rédigée communément par ce dernier chapitre :

L'UTILITÉ PUBLIQUE DES RADICAUX

 

 

Nous voici donc à la question cruciale, déjà plusieurs fois approchée, qui est posée à notre Congrès : quelles sont aujourd'hui l'utilité politique du radicalisme, la pertinence de son organisation partisane et la ligne proposée par les Radicaux de gauche pour un rassemblement dont l'ampleur serait synonyme d'espérance ?

 

 

LA STRATEGIE DE L'IDENTITE

 

 

Assez curieusement, les partis politiques, surtout lorsqu'ils sont de taille modeste, se posent toujours la question de leur stratégie en termes d'alliances alors d'une part que l'alliance à visées électorales n'est qu'un moyen au service d'une stratégie d'existence et que, d'autre part, se poser prioritairement la question du choix de ses alliés c'est en quelque sorte demander à d'autres l'autorisation d'exister.

 

La fierté radicale

 

Nous ne concevons pas du tout la question stratégique de cette façon. Nous croyons très fermement à l'utilité du radicalisme sous les très nombreuses réserves déjà exprimées et dont la prise en compte permettra de faire passer le radicalisme du 20eme au 21ème  siècle.

 

Voila pourquoi nous pensons que l'absolue priorité des Radicaux doit être le travail doctrinal qui démontrera, sous ce défi, la modernité de la pensée radicale. Nous savons qui nous sommes et nous l'avons rappelé tout au long de ces pages. Mais nous ne démontrerons aux Français l'actualité du radicalisme qu'au prix d'un rigoureux effort conceptuel qui permettra a nos concitoyens de voir a nouveau sur quelques thèmes précis que l'apport des Radicaux à la rénovation de la vie politique et a la victoire des progressistes est décisif.

 

Ce sera l'objet même du contrat à passer en Congrès entre le Président et le Parti de détailler les outils (atelier, clubs, publications, etc...) et les procédures (séminaires, conventions, relations avec les milieux culturels, associatifs, syndicaux, etc...) de ce travail mais il est bien certain qu'il faudra organiser à l'intérieur et à la périphérie du Parti Radical de Gauche une véritable effervescence intellectuelle productive qui sera d'ailleurs en elle-même la garantie de l'arrivée de nouveaux sympathisants et adhérents que la nature de notre activité ne manquera pas d'intéresser.

 

Deux écueils nous guettent ici. D'abord, la tentation de traduire ce renouveau de la pensée radicale en d'interminables catalogues programmatiques, inappropriés à l'attente civique et incompatibles avec une communication moderne. Ensuite, la vieille habitude de confondre la raison discursive et le doute méthodique, qui sont notre façon de penser, avec les idées raisonnables et la modération de pensée, qui sont les mauvaises habitudes du radicalisme tactique.

Pensons donc radicalement ! Que claquent les belles idées radicales au vent du siècle qui se lève !

 

C'est alors, et alors seulement, que nous pourrons poser la question de notre positionnement.

 

L'introuvable centre-gauche

 

Pendant toute la IVeme République, les institutions, la sociologie électorale et les habitudes politiques avaient installé le radicalisme au centre du paysage français, position qu'il occupait d'ailleurs avec le MRP et aussi, on l'a oublié, l'UDSR de François Mitterrand.

 

C'est, de façon paradoxale, parce que les mécanismes institutionnels favorisaient ce positionnement que le radicalisme de combat de la IIIeme République s'est progressivement sédimenté en un centrisme a toute épreuve tactique. Et le radicalisme s'est au fond affaibli à la mesure même de sa quasi-permanence dans l'exercice du pouvoir devenu un objectif en soi.

 

Fatalement, ce positionnement allait provoquer une déchirure lors de la réforme institutionnelle de 1962 : en toute logique, la frontière de la bipolarisation voulue et organisée par le général De Gaulle est passée au milieu du parti radical qui n'en a fait le constat que dix ans plus tard en se scindant entre un centre-droit et un centre-gauche d'ailleurs plus constitués en fonction des intérêts électoraux des dirigeants concernés qu'a raison de sérieuses divergences idéologiques entre les deux moitiés séparées.

 

De cette blessure constitutive, il est resté dans notre parti l'habitude constante de se regarder et de se nommer comme le parti du centre-gauche.

 

Cette appellation comporte de très sérieux inconvénients.

 

Elle rappelle tout d'abord que le positionnement politique était tactique avant d'être idéologique. Ce n'est plus notre actualité.

 

Elle correspond en outre au passé. Un passé certes prestigieux, celui de la F.G.D.S. et puis de l'Union de la Gauche, qui ont été décisives mais qui ne sont pas des réponses appropriées au défi de notre temps. Lorsque le poids du parti communiste faisait encourir a l'Union de la Gauche le reproche crédible d'être tentée par le collectivisme, il était capital pour la gauche de rééquilibrer son union en assignant les Radicaux a une fonction de contrepoids par la défense de la propriété individuelle et des catégories sociales les plus rétives a cette dynamique d'union (commerçants, artisans, petits agriculteurs, etc...).

 

Le risque collectiviste s'est évanoui et les catégories sociales qui s'en effrayaient se sont soit évaporées dans la modernisation violente et rapide de notre société et de notre territoire soit réfugiées dans des crispations identitaires éloignées du radicalisme.

 

L'appellation de centre-gauche comporte un inconvénient supplémentaire non négligeable. Dès lors qu'elle est synonyme de « droite de la gauche » elle implique, d'une part, que notre position soit définie par d'autres (c'est au demeurant, reconnaissons-le, ce que faisait François Mitterrand) et, d'autre part, que les dérives centristes non négligeables du principal parti de gauche nous repoussent toujours plus a droite. Le problème est bien connu. Il était déjà visible du fait de Michel Rocard. On peut le reformuler aujourd'hui ainsi comment se situer a la droite de Dominique Strauss-Kahn ou de Ségolène Royal et être encore a gauche ? En vérité. la solution consiste a refuser cette géographie politique découpant le territoire en segments toujours organisés de la même façon. C'est par le travail sur les idées que les Radicaux feront leurs irruptions tantôt a la droite en effet, tantôt a la gauche, c'est arrivé souvent, et quelquefois au cœur même du « territoire » socialiste et persuaderont les Français de leur originalité, de leur utilité et de leur efficacité entièrement due a une identité singulière indépendante.

 

Dernier inconvénient et pas le moindre : dans une conception territoriale presque figée de la bipolarisation de la vie politique, le centre-gauche est une position frontalière et c'est de la que doivent partir les passerelles qui permettent les alternances. Tous s'accordent a dire, certes de façon métaphorique, que la politique est une guerre. Or dans les guerres, rien n'est dangereux comme de vivre sur une frontière et le premier objectif des bombardements, c'est toujours les ponts. Nous étions bombardés l'année dernière de procès d'intentions pour cause d'ouverture présidentielle. Nous serons demain survolés par nos alliés des qu'ils voudront passer des alliances avec ceux qui seraient a notre droite dans cette représentation géographique de la politique.

 

Nous voulons, bien sûr, élargir le camp du progrès mais pas au prix de notre disparition.

 

Territoire central et centrisme institutionnel

 

Nous l'avons souvent dit et écrit : c'est dans le territoire central que se gagne, par définition, une élection comme la présidentielle dans un système bipolaire. C'est bien la que se situent les réservoirs potentiels de chaque camp et c'est le lieu de la victoire si le camp gagnant s'est préalablement rassemblé et a réglé les problèmes idéologiques et stratégiques que l’on pose son aile la plus dure (avant-hier, le parti communiste, hier, l'extrême droite, aujourd'hui l' ultragauche).

Mais si le grand territoire central existe bel et bien, comme le démontre la relative importance des scores réalisés par les candidats qui s'en réclament (Jean Lecanuet, Alain Poher. François Bayrou), est-ce à dire que l'existence sociale et sociologique de ce territoire donnerait des chances à un centrisme institutionnel, politiquement praticable de façon
exclusive ?

 

Nous ne le pensons pas. L'expérience actuelle de François Bayrou le démontre une lois Dans leur violence artificielle, les mécanismes de la bipolarisation condamnent les acteurs de chaque camp à aller chercher des électeurs du centre sans jamais rien espérer des accords avec les institutions partisanes qui prétendent les représenter.

 

C'est donc bien par le travail sur des idées innovantes non réductibles à la bipolarisation des idées politiques (il en va ainsi de beaucoup de questions de société) ou sur des thèmes transversaux non encore contaminés par cette division mécanique (c'est le cas du de fédéralisme européen) que les Radicaux rempliront la mission qu'ils se sont donnée, à savoir l'élargissement du camp du progrès.

 

Pour autant, nous ne devons pas nous interdire - malgré les sommations qui nous en sont faites, parfois de l'intérieur même de notre parti - de discuter avec tel dirigeant centriste ou même avec tel dirigeant de l'actuelle majorité de sujets permettant de dégager un consensus ou d'approfondir notre propre vision.

 

Et a propos des sommations, des interdictions, des procès en sorcellerie, nous faisons trois observations. Est-il d'abord vraiment d'un radical républicain de refuser le dialogue des lors qu'il n'emporte aucune compromission ? La tolérance tant invoquée par les Radicaux trouve-t-elle son compte dans cette rigidité ?

 

Est-il ensuite d'un démocrate de refuser toute mobilité politique ? La démocratie suppose l'alternance, et l'alternance implique que nombre d'électeurs et certains de leurs dirigeants changent de position. Le dialogue est dans la nature même de la démocratie.

 

Mais surtout, est-il judicieux, lorsque la gauche est à l'étiage, a son niveau global du 1er tour de la présidentielle de 2007 (plus ou moins 36 %, le score le plus bas de son histoire récente), de condamner par avance les ouvertures qui lui permettraient _de sortir de cette impasse ? N'insultons pas l'avenir.

 

Laissons à d'autres les illusions d'un radicalisme pur et dur, splendide dans son isolement, et à d'autres encore l'inconfort d'une alliance tellement exclusive et tellement déséquilibrée avec le parti socialiste qu'elle est synonyme de vassalisation sans aucune échappatoire.

 

Hors les extrémistes de tout poil, les Radicaux parlent avec tous ceux qui veulent s'entretenir avec eux. C'est leur intérêt et celui de la gauche.

 

 

Le parti comme un outil

 

Après avoir évoqué la stratégie de l'identité et les questions de positionnement, il faut bien considérer, comme une conséquence logique, l'interrogation sur la forme de notre organisation.

 

Répétons ici que notre parti n'est pas qu'un lieu de mémoire. Il n'est ni un musée ni un conservatoire. Le plus bel hommage que nous puissions rendre a ceux qui l'ont créé, c'est de le faire encore vivre et bouger.

 

Redisons également qu'un parti politique doit être un levier posé sur la réalité sociale pour la transformer. C'est donc un outil. Ce n'est ni une famille ni une maison, pas plus une église ou même un temple laïque ; ce n'est pas le lieu de la communion des affects même si la meilleure tradition radicale commande d'éclairer par l'amitié l'action politique qui n'est ailleurs que froide spéculation.

 

Nous estimons donc que si, dans ses aspects organiques, le parti n'est plus adapté, il ne faut pas hésiter à le modifier. Très rapidement, le Président élu par le Congrès devra d'ailleurs présenter au Comité Directeur de très grandes transformations de notre organisation et de son fonctionnement.

 

Allons plus loin. Le radicalisme peut, comme il en va dans leurs remparts des vieilles cités ou des civilisations languides, être étouffé par ses propres institutions. Lorsque celles-ci viennent a n'avoir plus comme justification que celle de leur propre existence, le meilleur service a rendre aux idées fondatrices est de les débarrasser d'un habit trop pesant. C'est ainsi, par exemple, que l'idée socialiste est passée de la S.F.I.O. au parti d'Epinay.

 

Voila pourquoi nous ne devons jamais refuser l'idée, déjà exprimée au Congres de Toulouse, que le radicalisme peut vivre et peut-être prospérer mieux dans le siècle qui s'ouvre hors de son cadre organique actuel, même si nous y sommes très légitimement attachés. C'est ainsi la problématique du rassemblement qui est posée.

 

RASSEMBLER LA GAUCHE

 

Nos propositions d'orientation politique seraient évidemment incomplètes si nous n'indiquions pas, pour finir mais pour préparer l'avenir, quelles doivent être les bases et les procédures d'un rassemblement de la gauche qui constitue la toute première urgence.

La gauche devra se rassembler sur des idées,
par la méthode du partenariat équilibré et par la mise en place d'une structure d'intégration évolutive et prémonitoire.

 

Comme pour le travail à réaliser sur eux-mêmes par les Radicaux, c'est par la définition d'un socle élargi d'idées communes que la gauche préparera ses prochains succès, au lieu de se distinguer par mille propositions héritées d'un passé de division, que chacun apporte a l'érection de ce socle ses idées les plus singulières mais aussi les plus propres à l’union et les plus intéressantes dans une perspective d'élargissement. C'est dire que chaque famille de la gauche -e ntendue au sens le plus large - devra, si elle veut contribuer au rassemblement, renoncer à apporter ses bréviaires démodés et rechercher comment les défis du 21ème siècle interpellent sa doctrine et contraignent a la moderniser. Une VIème République plutôt que des nostalgies de la IVème. Une école du 21ème siècle plutôt que la loi Falloux. Des villes modernes plutôt que des revendications d'H.L.M. Une solidarité active pour un temps de vie plus long plutôt que des crispations sur les acquis de 1946. Une Europe fédérale plutôt que le Marché Commun. La liste serait longue des sujets sur lesquels le siècle s’impatiente de voir la gauche hésiter à y entrer.

 

Après ce travail de fond, qui pourra ultérieurement déboucher sur un vrai programme innovant, il faudra bien faire le procès de la méthode impériale qui a selon des figures diverses, en 1995, en 2002 et en 2007. La défaite n'est pas une fatalité, elle est une certitude programmée si la gauche ne parvient pas a valoriser chacune des composantes en les évaluant à l'aune de leur efficacité et plus précisément (c’est l’intérêt des Radicaux) en fonction de la règle de l'utilité marginale.

 

On peut certes préférer perdre seul que gagner avec ses alliés. On peut préparer « d’autres victoires » par de nouvelles défaites. On peut préférer, pour mieux planter, une terre préalablement brûlée ou, pour mieux construire, se servir dans un tas de décombres. Nous avons vu les résultats de ces magnifiques stratégies.

 

Nous disons a nos partenaires, et en premier lieu a nos amis socialistes pour qui nous éprouvons l'affection générée par un siècle de luttes communes mais aussi la défiance qu'une trop pesante mitoyenneté fait peser sur toute propriété, que nulle victoire n'est possible si elle n'est précédée, même dans le champ symbolique du protocole relationnel, par l'affirmation de la considération mutuelle. Nous répétons à nos alliés qu'ils pourront compter sur les Radicaux s'ils apprennent à compter avec eux.

 

C'est maintenant qu'il faut donner des gages d'espoir. C'est très vite, c'est demain, qu'il faut préparer la victoire.

 

Si un nouvel équilibre dynamique est créé à l'intérieur d'une gauche ainsi modernisée, il sera possible de la structurer plus encore et de la fédérer vraiment tout en la maintenant ouverte a tous ceux que des réponses progressistes d'avenir intéressent plus que la rumination des querelles du passé.

 

« La Gauche », c'est ainsi que nous avions proposé de nommer, dès notre Congrès de Toulouse, le grand parti fédéral, populaire, laïque, européen que nous appelons de nos vœux et que les Français souhaitent pour être, mieux qu'un pendant, l'alternative crédible et espérée du bloc de droite.

 

Cette proposition est toujours d'actualité. Que « La Gauche » advienne rapidement et nous saurons bien, en son sein, désigner le meilleur ou la meilleure d'entre nous pour porter a la présidentielle les couleurs de la liberté, de la justice, de la fraternité, pour représenter après la victoire une France riche de sa diversité, dans une Europe forte de toutes les identités qui la composent.

Les historiens ont l'habitude de dater effectivement le 19ème siècle du Congrès de Vienne à l'attentat de Sarajevo, comme si le temps politique refusait d'obéir au calendrier. Notre 20ème siècle n'en finit pas de  s'achever. C'est parce que « l'avenir vient de loin » que, forts de la plus grande tradition, nous ne craignons pas l'époque qui vient s'offrir à nous.

Les Radicaux n'ont aucune frayeur de boutiquiers. Ils n'ont aucun souci de leurs intérêts particuliers. Ils ne craignent pas de regarder leurs grands ancêtres en leur disant : « Voilà où nous sommes allés car nous y étions convoqués par le bien public ». Ils ne s'attarderont pas a des vétilles organiques alors que la France les attend. Ils savent que le 21ème siècle s'ouvrira enfin quand la gauche l'éclairera. Ils sont prêts et leur Congrès le montrera. Nous serons au rendez-vous de l'avenir. Il ne nous décevra pas. Comptons sur le radicalisme ; il est bel et bien là.

Publié dans Actualité politique

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